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Camp du Vernet

camp du vernetSituation géographique

Le nom du village est précisément « Le Vernet d’Ariège », situé dans le département Ariège, de nos jours Ariège Pyrénées. Quant au camp du Vernet il s’étend sur la partie nord de la commune de Le Vernet d’Ariège et empiète sur la commune de Saverdun. A une cinquantaine de kilomètres au sud de Toulouse et une dizaine au nord de Pamiers. Attention, ne pas confondre Le Vernet d’Ariège avec Le Vernet de Venerque (Haute-Garonne) et avec Vernet-les-Bains (Pyrénées-Orientales). Par commodité, j’emploierai le terme de l’époque « du Vernet ».

Situation géopolitique

Après le krach boursier de 1929 (la Grande Dépression), c’est la dépression économique. La récession américaine s’exporte dans le monde entier. Bien sûr, la crise bat son plein, la situation économique se dégrade dans tous les pays. Le monde voit des famines (Chine, Russie…), le chômage est important…

La montée des extrèmes

En effet devant une telle situation le nationalisme s’installe, le fascisme monte en Europe notamment en Allemagne, Espagne, Italie. Les pays communistes se replient sur eux-mêmes, en 1938 l’Europe compte 28 états, seuls 13 sont des démocraties. L’antisémitisme, la xénophobie, anticommuniste, tous ces fléaux sont à l’apogée, le monde est une poudrière.
La situation en Europe n’est pas stable, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, le bruit des bottes se fait entendre dans ces pays.
En juillet 1936, la guerre civile d’Espagne éclate. Après chaque victoire des nationalistes franquistes et leurs alliés, le flot de réfugiés est incessant. Jusqu’à la victoire finale des nationalistes, l’afflux de population fuyant l’Espagne ne se tarit pas.

L’arsenal législatif et répressif

Les atermoiements des gouvernements français

De 1936 à 1938, les pouvoirs publics français ne savent pas comment résoudre cette question des réfugiés espagnols. Des pans entiers de la société espagnole fuient la guerre, rejoignent la France. Dans de telles conditions, le gouvernement français durcit encore plus les conditions d’accueil. L’ampleur de l’exode dépasse les prévisions françaises, la France se retrouve submergée par ce manque d’organisation.

Les mesures répressives

Première mesure, le 27 novembre 1937, « …Seuls sont autorisés à résider en France les réfugiés qui possèdent les ressources suffisantes pour y demeurer sans occuper aucun emploi ou qui peuvent être recueillis par des personnes prenant l’engagement de subvenir à tous leurs besoins… Exception faite toutefois pour les femmes, les enfants, les vieillards et les malades qui peuvent encore être hébergés aux frais des collectivités locales… »
Deuxième mesure, le 14 avril 1938, le ministre de l’Intérieur Albert Sarraut demande aux préfets « …de mener une action méthodique, énergique et prompte en vue de débarrasser notre pays des éléments étrangers indésirables… ».
Puis, le décret de loi du 18 novembre 1938, »… Les individus dangereux pour la Défense nationale et pour la sécurité publique peuvent, sur décision du préfet, être éloignés par l’autorité militaire des lieux où ils résident et, en cas de nécessité, être astreints à résider dans un centre désigné par décision du ministère de la Défense nationale et de la Guerre et du ministre de l’Intérieur… ».

Durcissement des conditions d’accueil

En janvier 1939, après la prise de Barcelone par les franquistes, c’est à exode d’opposants que doit faire la France. On appellera ce phénomène la « Retirada », les statistiques parlent de 500 000 exilés. Cet exode touche toutes les couches de la population espagnole. Des civils, des militaires, des journalistes, des opposants politiques…, des enfants, des femmes, des hommes fuient l’Espagne. La péninsule ibérique est aux mains de nationalistes. Les Espagnols voulant fuir la guerre et l’horreur n’ont pas le choix, il ne reste plus que la toute proche frontière terrestre avec la France. Rien n’est prêt pour les accueillir, en janvier 1939 le premier centre voit le jour à Rieucros dans la Lozère, les autres suivront. Finalement, en février de la même année c’est approximativement 500 000 Espagnols qui arrivent. La France les « héberge » pour ne pas employer le terme les internes dans ces camps improvisés.

Le camp du Vernet

camp vernet geolocalisation Topographie

Donc situé sur la commune de « Le Vernet d’Ariège », sur la plaine d’Embayonne au nord du village. A son début coincé à l’est par la Route Nationale 20 (aujourd’hui D820) et à l’ouest par la rivière Ariège. Par la suite sera construite la « cité » du côté est de la route et à l’ouest de la ligne de chemin de fer. La gare ferroviaire est toute proche (voir image satellite actuelle).
Dans un rapport du 19 janvier 1919, le Général Pédoya souligne plusieurs points contradictoires quant au choix du Vernet d’Ariège. Le climat défavorable pour des troupes coloniales, le terrain argileux ne favorise pas l’infiltration de l’eau…

L’historique rapide du camp

La construction

Georges Clémenceau président du Conseil et ministre de la Guerre décide le 28 avril 1918 la construction du camp du Vernet. Il semblerait que le lieu choisi fut Vernet-les-Bains et non Le Vernet d’Ariège, une erreur a fait que ???? (La Tribune Ariégeoise du 24/4/1926).
La Route Nationale 20 traverse Le Vernet d’Ariège qui possède sa gare desservie 2 fois par jour par le train qui relie Toulouse à La Tour de Carol. A vrai dire, la compagnie de Chemin de Fer sous-exploite cette ligne.

L’après Grande Guerre

Ce camp du Vernet devait accueillir 12 bataillons sénégalais, environ 15 000 hommes. L’Armistice du 11 novembre 1918 met fin à la Grande Guerre. Alors, le camp se transforme en camp de prisonniers de guerre allemands et autrichiens. Il s’étale sur une vingtaine d’hectares.
Après la libération de tous les prisonniers de guerre vers fin 1919, le camp se transforme en dépôt de matériel d’artillerie pour l’armée française.
A ce moment-là, la surface est moindre, les paysans récupèrent des terres agricoles. Effectivement dès 1922 certaines terres réquisitionnées retournent à l’exploitation agricole.

dessin humour le vernet Le camp du Vernet l’horreur en route

Finalement après la défaite de la République espagnole, c’est la « Retirada » avec un exode massif d’Espagnol. La France a un besoin urgent de camp d’accueil. En début février 1939, malgré un état de délabrement plus qu’avancé, l’autorité militaire le choisit avec la Briqueterie de Mazères pour soulager les autres centres surpeuplés.
L’état de Briqueterie est aussi dans un état pitoyable et était prévu pour accueillir 1 000 réfugiés et le camp du Vernet pour 4 000.
Le 14 mars, le député Delcos souligne « …la population totale du Roussillon est inférieure aux exilés espagnols… ». Le camp du Vernet « est vite fait bien fait » aménagé en camp de concentration pour réfugiés espagnols. Pour ainsi dire, il n’y a rien du tout, juste 19 baraques en bois dans un piteux état. En conclusion, la situation matérielle donne des conditions minimales pour une vie décente.

La déclaration de la guerre

En septembre 1939, le préfet de l’Ariège ordonne la liquidation du camp du Vernet. Malgré l’arrivée permanente soit de civils soit de combattant des Brigades Internationales, le camp se vide. Les réfugiés internés sont dirigés vers d’autres camps ou alors vers les Compagnies de Travailleurs Etrangers(1).

La France entre en guerre

Le 3 septembre 1939, la France entre en guerre contre l’Allemagne, le camp du Vernet devient alors « camp disciplinaire pour étrangers indésirables ». Les mesures du mois d’avril 1938 prises par le gouvernement français prévoient : « …en cas de mobilisation, les étrangers de sexe masculin âgés entre 17 et 50 ans devront être concentrés dans les centres afin d’être employés à des travaux au profit des régions militaires ou des services publics… ». Il faut savoir que le camp du Vernet dépend directement du ministère de l’Intérieur et non du ministère des Armées. D’ailleurs, une circulaire du 17 janvier 1941 stipule : « …il n’y a pas lieu de faire régner dans les autres camps, une discipline aussi stricte qu’au Vernet où se trouvent des repris de justice et des extrémistes… ».

L’internationalisation des internés

Sont internés dans son sein des Allemands, Espagnols, Italiens, Yougoslaves, Russes, juifs, Tsiganes…communistes… Sur le camp sont présentes jusqu’à 58 nationalités différentes. Le Vernet est le seul camp en France à avoir un tel statut avec une discipline aussi stricte. Les internés étaient considérés par l’état français comme des repris de justice et des extrémistes.

Sous le gouvernement Pétain

Sous le gouvernement de Pétain dans notre région, les rafles de juifs s’intensifient. Ils sont internés du Vernet avant d’être déportés vers l’Allemagne, et ce dès l’été 1942. Le Premier Convoi pour Auschwitz est le 1er septembre 1942. Après la prise de contrôle de la zone libre par les Allemands l’activité du camp du Vernet diminue pour cesser. Le dernier convoi de déportés est le 15 mai 1944, il est appelé le « train fantôme ».
Au total, ce n’est c’est au minimum 26 convois qui sont partis de ce camp, environ 4700 personnes, hommes, femmes et enfants qui ont été déportés soit à Auschwitz ou Dachau, soit en Algérie, soit en Italie et certains on ne sait même pas où.
Le 30 juin 1944, le camp du Vernet devient camp de détention pour les prisonniers allemands et pour les soldats du Turkestan.

Le camp du Vernet de février 1939 à septembre 1939

Dessin réalisé par un interné (anonyme) site de l’Amicale des anciens internés lien direct

Les premiers internés

Après la défaite des républicains espagnols, le camp du Vernet et la briqueterie de Mazères reçoivent les miliciens de la Division Durruti(2), environ 12 000 personnes. 5 000 se retrouvent entassés à Mazères et le reste au Vernet (quand est-il Des Cabanes à Villeneuve du Paréage ???).
Les premiers internés seraient arrivés début février 1939, il s’agirait de la 121e brigade, suivie de la 119e, 120e…. Ce sont des soldats sénégalais et des gardes mobiles qui sont en poste. L’administration laisse à désirer dans cette inorganisation extrême, difficile de savoir qui est là. La gestion des internés n’est pas pour l’instant assurée (un titanesque travail de compilation de témoignage a été réalisé par L’Amicale des Anciens Internés Politiques et Résistants du camp de concentration.)

S’adapter aux conditions, survivre

C’est l’hiver, les internés n’ont que les habits qu’ils ont sur eux et parfois une couverture. Les conditions de vie sont épouvantables malgré l’aide d’une partie de la population, d’organisations humanitaires et politiques. Le froid, la neige, le vent, la pluie…, les conditions sont exécrables, certains creusent dans le sol pour essayer de se protéger.

Conférence du 27 février

Voilà en partie ce qui est dit au cours de cette conférence où sont présents :
l’ingénieur en chef Cazes,
l’adjoint du général Ménard,
le lieutenant-colonel commandant du camp,
le capitaine Gillot du Génie de Toulouse,
l’ingénieur en chef Vidal du service vicinal de l’Ariège,
l’ingénieur en chef Testanier
« …un ancien camp abandonné et aliéné en partie qui comprend 20 baraquements de 33m sur 6m dont 7 sont réservés aux troupes françaises et aux services. Quelques baraquements encore debout ont été réquisitionnés. Mais l’arrivée prématurée des miliciens a dépassé de beaucoup la capacité des locaux ; si bien que plusieurs milliers d’hommes campent dans des abris improvisés par eux ou sans abri dans un enclos situé au bord de la route Nationale N°20… ce spectacle assez pénible offert aux usagers de la route la plus fréquentée du département n’est pas sans être d’un déplorable effet… parqué comme du bétail et par les gardes mobiles et la troupe… ».

L’extension du camp

Toujours l’urgence de construire

L’ingénieur-chef Testanier adresse le 2 mars une lettre au préfet de l’Ariège sur laquelle il insiste pour que les baraques existantes soient rapidement aménagées pour passer de 150 à 400 hommes par baraque (dont 100 sous l’auvent extérieur). Il veut mettre les miliciens à l’abri le plus rapidement possible, rappelant aussi qu’il en reste 5 300 qui couchent dehors. Par la même occasion pour un souci de rapidité, il demande de confier les travaux aux entrepreneurs locaux. Il écrit que le camp du Vernet regroupe 10 200 hommes.

Infrastructure finale

Finalement, la moyenne d’homme par baraque passera à 250, donc il faut construire 27 baraques pour les miliciens et 8 autres pour l’agrandissement des cantines, l’infirmerie et les bureaux. Soit 35 baraques au total.
Au 15 septembre 1939, le camp se compose :
34 baraques en bois et 14 baraques en maçonnerie pour l’hébergement des miliciens
8 baraques en bois et 3 baraques en maçonnerie pour l’infirmerie et l’hôpital
15 baraques pour le camp français

Le prix de ces aménagements indispensables

Le coût par baraque est estimé à 13 000 F. De plus, il faut creuser un puits (16 000F), acheter une moto pompe (7 000F), la voirie (20 000F), réfection du réseau d’évacuation des eaux usées (35 000F), l’éclairage pour les gardes de nuit (18 000F). Au final, il y a 810 000 F à investir.

Une aubaine pour l’économie locale

Une aubaine et surement de bonnes affaires pour les entreprises locales (57 dans le département et une petite dizaine hors département). Dans son ouvrage, La France des camps : l’internement, D. Peschanski(3) laisse entendre que d’ailleurs le général Ménard écrit pour les commandants des camps dans une note du 7 mai 1939 stipulant que les internés sont employés pour des travaux de terrassement ou dans divers ateliers. En principe ils sont payés 2F par jour, mais des fois rien du tout. S’ils donnent satisfaction dans leur travail, ils peuvent recevoir 8 paquets de cigarettes par mois (160 cigarettes). Ceux travaillant à l’intérieur du camp pour des entreprises privées pourront toucher pour leurs services : vivres, tabac, vêtements… parfois un peu d’argent.
Au camp du Vernet cela fonctionnait avant, mais suite à des incidents, le command du camp décide qu’aucun Espagnol ne travaillera sur les chantiers intérieurs à partir du 15 avril 1939.

La briqueterie de Mazères

A Mazères, les conditions de vie sont aussi horribles, c’est pareil dans tous les centres en France.
Le 2 mars, l’ingénieur en chef Testanier signale au préfet : « …il convient d’envisager une utilisation en temps limité, d’abord parce qu’on abrite 4 500 hommes dans des locaux où l’on aurait dû en loger la moitié… il est impossible d’installer à proximité les dépendances indispensables d’hygiène et d’assainissement… ».
L’évacuation de la briqueterie se fait en mai 1939, car certaines baraques du camp voisin de quelques kilomètres sont finies. Le 18 mai, il ne reste qu’une seule compagnie qui procède au nettoyage de la briqueterie.
Le 20 mai, le commissaire de Police de Pamiers signale au préfet qu’après recensement du camp du Vernet il y a 9 789 réfugiés dont 2 732 viennent de la briqueterie de Mazères.

La solidarité envers les internés

Malgré tout, l’aide aux réfugiés s’organise, des colis, un peu d’argent, des sympathisants qui signent des contrats de travail avec les internés permettent à des centaines d’entre eux de quitter ce maudit camp. Certains d’entre eux pour sortir du camp s’engagent dans les Compagnies de Travailleurs Etrangers (CTE). Les CTE fournissent de la main-d’œuvre moins chère pour les usines, les mines, la construction, les exploitations agricoles et forestières…
Le Général Gamelin inspecte le camp en août 1939, il préconise une nourriture plus variée et la construction d’une infirmerie.

Les convois incessants d’internés

Les effectifs du camp ne descendront jamais en dessous de 8 000 hommes jusqu’en septembre 1939.
De février 1939 à septembre 1939 les convois se succèdent comme le prouve un rapport adressé au commissaire principal de Foix : 17 mai 700 internés arrivent, le 18 juin 1515, du 1 au 15 juillet 650….venant soit d’Argeles, de Saint-Cyprien,… Au final, l’effectif du Vernet a une rotation très rapide. L’improvisation et la précipitation de la mise en œuvre des camps ne permettent pas d’avoir une « image » juste. Mais heureusement, les témoignages permettent d’avoir plus de précision que les papiers officiels de l’époque ne peuvent pas fournir.

La vie de tous les jours

Au début, seuls les officiers ont droit aux baraques, les autres sont dehors avec pas grand-chose pour s’abriter. La météorologie ne favorise pas la vie dans de bonnes conditions, humidité, froid, vents… Se constituer un abri avec des couvertures, de la toile devient un instinct de survie. La troupe de la Colonne Durruti « couche donc à la belle étoile », et cela dure plusieurs mois. Là, on peut parler que de survivre.
Le 14 avril 1939, le général Noël écrit dans une note : « …il reste à abriter 800 miliciens… ».

Capacités d’hébergement

Quand toutes les baraques sont construites, sachant qu’une baraque mesure « 33×6 » soit 198 m2 pour 300 hommes. La moyenne de l’espace pour chacun est de 0,66m2, d’ailleurs un interné a réalisé un dessin humoristique à ce sujet. Mais au moins, ils ont un toit dur la tête.
Au 15 septembre 1939, il y a 64 baraques :
34 baraques en bois et 14 baraques en maçonnerie pour les miliciens internés 8 baraques en bois et 3 en maçonnerie pour l’infirmerie-hôpital.
Les restantes sont affectées aux dépôts, le commissariat et la poste

Santé et hygiène

Situation matérielle du camp

Avec une telle situation, comment la santé et l’hygiène aurait-il pu être des meilleurs ?
Un très mauvais réseau d’évacuation des eaux usées, nombre de latrines insuffisant, les matelas étaient faits de paille…au début dans les baraques existantes les officiers avaient des pots de chambre (appelé tinette à l’époque)… Et tous les jours, il fallait les vider dans une fosse proche du camp, une corvée.
Le docteur-lieutenant Mimoun préconise : « …organisation d’équipes sanitaires (100 hommes) chargées du nettoyage des latrines, de la désinfection des tinettes et apporte tous ses soins à la désinfection des matières provenant des bâtiments des maladies contagieuses… une équipe de désinfecteurs, composée de miliciens choisis, est chargée de la désinfection quotidienne des baraquements et de leurs annexes… » Les lavabos communs n’arrivent qu’en avril 1939, avant il était prévu des corvées de lavage. Les internés demandent souvent du savon, l’inspecteur principal détaché au camp « …après la distribution de savons et de vêtements…le moral des internés s’améliore…. ».

Mobilisation des ressources externes

Dès le 28 février 1939, « …le préfet demande la réservation de tous les lits disponibles dans les hôpitaux des environs pour les réfugiés malades que le camp va accueillir… »
Le suivi médical est sous le contrôle de la 17e région militaire. Le médecin général Goursolas obtient que l’infirmerie-hôpital soit construite le plus tôt possible et qu’il soit recouvert de plaques en fibrociment pour une meilleure isolation.
Le manque de médecin est là, dans le camp il y a des internés qui sont médecins ou infirmiers ont-ils exercés sur le camp ?
Des miliciens sont atteints par la typhoïde, la diphtérie, des maladies vénériennes, pneumonies…, la peur de contagion, la vaccination antivariolique est imposée à tous.

En juin, le médecin-chef de l’hôpital du camp « …souhaite transformer la morgue en salle d’autopsie…les décès restent une réalité pour les internés… ».

La mort au camp du Vernet

D’ailleurs, les morts ne sont pas comptabilisés dès le début, ce qui prouve encore une fois l’improvisation. Le 4 mars 1939, Abdel Navarette Fortajada est le premier mort officiel inscrit sur les registres de la commune de Le Vernet d’Ariège. Mais, il n’a aucune tombe dans le cimetière du camp, la 1ère tombe serait datée du 19 mars 1939. Les témoignages laissent penser que des charrettes au petit matin emmenées les morts sans que l’on sache où.
Le manque d’intimité est dur à supporter, Arthur Koestler (4) souligne dans son livre La Lie de la terre le manque cruel de solitude

La nourriture dans le camp du Vernet

Les autorités militaires affirment « …la nourriture est saine et abondante… viande, haricot, lentille, riz, macaroni, pois, pomme de terre… les rations journalières : 600gr de pain, 200gr de viande, 150gr de légumes ou pâtes, 500gr de pommes de terre, 21gr de sucre et 16gr du café… ».
Au contraire, les internés parlent plutôt « …de l’eau avec quelques lentilles, de la morue à peine dessalée… un pain pour 4… ».
Finalement, la cuisine est confiée à certains internés qui sont finalement équipés de tenues de cuisinier, d’autres vont chez les boulangers pour y faire le pain.
Les cuisines étaient un point stratégique, oui, il était facile de détourner de la nourriture au détriment des autres internés. Des « groupes » profitaient de ces détournements pour faire du marché noir, et ils vendaient le butin contre de l’argent, des cigarettes, des habits, des livres… Mais il était fréquent que des colis passent par-dessus les barbelés. Une économie parallèle en quelque sorte.

Le fonctionnement

A leur arrivée en février 1939, seuls les officiers espagnols peuvent dormir dans les baraques en dur. Par contre, la troupe se retrouve dehors, et ce pendant plusieurs semaines. Les températures sont négatives, il neige, il pleut… Un chef de bataillon écrit : « …en raison des pluies torrentielles…le camp est un marécage… ». Il faut improviser des abris avec rien ou pas grand-chose n’est pas chose aisée.
Le camp se divise en plusieurs secteurs : secteur A réservé au « droit commun » (8 baraques), secteur B les « politiques » (19 baraques), secteur C les « suspects » (18 baraques), secteur T « en transit » (3 baraques). Le cimetière se situe au nord contigu du secteur C. Il y a ensuite la partie Administration, et de l’autre côté de la route, la cité pour les gardiens et officiers, là les baraques sont toutes en maçonnerie. Le camp s’étale sur une cinquantaine d’hectares.

La communication au sein du camp

Les sections ne sont pas hermétiques malgré les barbelés, les internés arrivent à communiquer entre eux. Des objets lancés passent par-dessus, cela, permet aussi plus de nouvelles et de retrouver des amis.
Au sein du camp, les fonctionnements hiérarchiques de la 26e division Durruti restent dans un 1er temps en place, c’est le général Sanz qui en est le commandant. Cela impose une discipline , qui ne durera pas. N’étant plus considérés comme militaires, mais comme internés, ils décident d’élire eux-mêmes leurs responsables.

La surveillance

Le camp est totalement clos par des barbelés et des palissades (plutôt côté route Nationale 20), les chemins de ronde sont présents tout autour du camp.
Les premiers gardes furent les Sénégalais, ils n’entraient dans le camp que le jour, toujours baïonnette au canon. La violence entre les « soldats espagnols » et les gardes est là.
Un réseau de haut-parleurs permet une communication sur l’ensemble du camp du Vernet.

Le courrier sous contrôle

Le courrier est trié et surveillé à l’arrivée comme au départ, le préfet demande « …que lui soit retourné tous les courriers interceptés… qui après vérificateurs du service de censure… pourraient intéresser la Défense nationale… ».
Les internés qui sont du Vernet et qui ont fui l’Espagne avec leur famille n’ont que ce moyen pour contacter leurs familles dispersées dans les autres camps.
Un poste de Police sommaire existe dès l’arrivée des Espagnols, mais il n’est pas adapté. Le 2 juillet est demandé un poste de police adapté au camp.
Les internés sont identifiés, fichés, toutes les informations obtenues sont transmises au Ministère de l’Intérieur.

Les sanctions

En punition disciplinaire comme il n’y a pas au début de « prison », il semblerait que la sanction disciplinaire soit appliquée de la façon suivante. Le sanctionné était enfermé dans un enclos de 1m50 de côté, aux 4 vents, bien évidemment entouré de barbelés. Il n’avait droit qu’à ses vêtements, du pain et de l’eau, il devait effectuer sa sentence jour et nuit jusqu’à la fin.
Par la suite, une prison est construite avec des cellules, ce qui humanise un peu les sanctions.
Le 5 mai, le général Noël demande « …que la discipline soit renforcée au camp du Vernet et celui de Septfonds(Tarn)… salut aux officiers français, revue journalière des baraques, rassemblements journaliers… ».
Mais toutes ces mesures de surveillances sont-elles efficaces ? Il est retrouvé dans le camp du Vernet des épouses et des enfants de miliciens, un pistolet, une grenade. Les clôtures extérieures sont des passoires, ce qui permet à pas mal de choses d’entrer dans le camp.
Courent avril, le dispositif de barbelés est doublé et il est demandé que la palissade côte RN20 soit d’une hauteur de 2M empêchant une vue directe sur l’intérieur du camp.
Il est aussi fait état de nombreuses évasions, pas facile de suivre le nombre exact d’internés. Le 21 juin, ce sont 25 hommes qui s’évadent en passant sous les barbelés.

La politique au camp du Vernet

A partir du mois d’août 1939, tout Espagnol demandeur l’asile politique en France arrive au Vernet.
Antoine Miro dit »… En passant la frontière, nous n’avions rien abandonné de nos divergences de tendances, de partis et d’idéologie… » Les internés ont accès à certains journaux, la situation en Espagne est bien sûr suivie, et l’accord Hitler-Staline ne passe pas inaperçu. Après la défaite en Espagne les « tendances politiques » des miliciens refont surface et sont loin de s’éteindre.
Même des contacts politico-amicaux se tissent par l’intermédiaire du courrier entre des internés et des sympathisants français.

Des manifestations bien légitimes

Il est fait état de « manifestions » des internés. Ceux-ci dénoncent la pseudo rémunération qu’ils touchent pour les travaux qu’ils effectuent. Même internés, ils continuent à défendre leurs intérêts.
Courent avril, jusqu’à 300 d’entre eux manifestent contre les corvées.
Les autorités du camp tentent de réduire voire d’interdire les « activités politiques », mais la chose n’est pas aisée, d’autant que le camp accueille aussi des réfugiés politiques. Même internés, certains de ces hommes luttent toujours pour la liberté, contre le fascisme, le nazisme… Cette lutte vivra durant toute la durée de vie du camp.

Des activités pour combattre l’oisiveté

Les activités au sein du camp sont minimes, donc il faut que les internés soient occupés à faire autre chose que de la politique.

La Route Nationale 20 permet de voir la vie à l’extérieur. Mais surement aussi les contacts avec l’extérieur sont faciles. Pour remédier à tout ça, des palissades de 2m de haut sont construites.
En mai 139, le camp dispose d’un terrain de foot, 2 terrains de basket, des sautoirs…, un jardin, des jeux de dames et d’échecs. Même une petite plage est aménagée (je pense sur les rives de la rivière Ariège). Par petit groupe et bien, les internés vont sur cette plage.
La direction du camp autorise certains journaux dans le camp : La Petite Gironde, La dépêche de Toulouse, Le Midi socialiste, les internés doivent se les payer.
Les visites aux internés sont possibles, mais très limitées et très règlementées, les visiteurs sont surveillés.

La culture au camp du Vernet

Les internés qui ont des talents artistiques n’hésitent à exprimer leur art (dessinateur, peintre, sculpteur, écrivain…). La baraque culture permet la mise en place de théâtre, de séance de cinéma (le premier film diffusé La Bandera), des conférences… Certains internés très cultivés (anciens professeurs, instituteurs, médecins…) font en sorte de continuer à diffuser la culture au sein du camp. En août, une bibliothèque serait présente.
Il reste pas mal de documents prouvant cette culture malgré un manque de moyen évident n’est pas restée aux portes du camp.

Réouverture de la frontière espagnole

Après la réouverture de la frontière espagnole par Franco, l’état français veut favoriser les retours au pays. Le regroupement familial est possible pour ceux qui émettent ce souhait.
Le Vernet regroupe surtout des combattants ou des réfugiés politiques. Certains très peu impliqués dans cette guerre civile décident de retourner en Espagne. Beaucoup craignent que s’ils rentrent des représailles de la part des autorités espagnoles.

Pour désengorger les camps, le gouvernement français envisage de transférer des réfugiés vers des pays tiers. Certains pays (Le Mexique, la Colombie, le Chili, l’Uruguay, le Vénézuéla et en Europe seule la Grande-Bretagne) donnent leur accord. L’URSS n’accepte que les communistes reconnus par eux.

Début septembre 1939, le camp du Vernet est quasiment vide, finalement il ne reste que quelques petites centaines d’hommes.

Malheureusement, voilà la Guerre

La guerre 39-45 le remet devant la scène, durant tout ce temps les internés prennent une part très active pour lutter contre le nazisme. Ils prennent une part active importante dans la résistance, la légion étrangère et dans des régiments spéciaux créés à cet effet.

Quelques témoignages sur le camp

Les témoignages ne laissent aucun doute sur les difficultés et la dureté de ce camp. Voici quelques extraits : (ces témoignages concernent la durée (de 1939 à 1 944) totale du camp du Vernet. Bien sûr, il y en a bien plus, le choix est aléatoire).
Dans son livre, Les Hommes du Vernet, Bruno Frei (5) écrit « …ainsi il est clair que baraque de la culture….n’était rien d’autre que la tentative d’introduire clandestinement dans le camp la propagande de guerre de Daladier…ce qui nous rendait supportable cette captivité, c’était la conviction que Le Vernet, lui aussi, constituait un secteur de la lutte universelle contre le fascisme… » « …L’Académie du Vernet était née….tous étaient à la fois professeurs et élèves… »

D’autres témoignages :

… est au-dessous d’un camp de concentration nazi
…les prisonniers dorment sans couverture, même par -20°
…ils ont le crâne rasé comme des bagnards et dépouillés des leurs objets personnels
…tout l’hiver 1939-1940, il n’y a ni électricité, ni chauffage
…la baraque-hôpital n’a aucun équipement
…sont les autorités militaires qui commandent. Les internés relèvent de la loi martiale.
… ceux qui refusent d’exécuter les ordres comparaissent devant la cour martiale.
…la garde extérieure tirera sans sommation sur quiconque s’approchera, après le crépuscule, à dix mètres du réseau de barbelés intérieurs
…les internés sont soumis à des châtiments corporels en cas de mauvaise volonté
…appel 4 fois par jour
…le courrier est contrôlé

Que reste-t-il du camp du Vernet aujourd’hui

La petite gare du Vernet qui a vu tant et tant de convois arriver et partir est toujours là, le wagon « Chevaux 8 Hommes 70 ». Le long de la voie ferrée, « la cité » qui regroupait les baraques des gardes et officiers. Un peu plus loin, vous pourrez voir le château d’eau (de l’époque), juste à côté, les 2 piliers de l’entrée. Le cimetière du Camp de concentration se trouve plus loin direction Toulouse. Mais surtout, un énorme travail de « l’Amicale des Anciens Internés Politiques et Résistants du camp de concentration du Vernet d’Ariège » pour que la mémoire n’oublie pas Le Camp du Vernet. Le musée dans le village de Le Vernet d’Ariège, ainsi que le Musée de Varilhes sont là pour témoigner. Bien sûr, les Archives départementales à Foix regroupent d’innombrables documents concernant ce camp.

Lexique

(1)Compagnie de Travailleurs Etrangers (CTE) :
créée par le gouvernement Daladier par le décret du 12 avril 1939. Sous l’autorité du ministère de la Guerre, elle se compose de 250 hommes. Elle concerne les étrangers qui sont sur le territoire français et qui bénéficient du droit d’asile. Cette mesure s’applique sur le volontariat. De surcroit le 27 septembre 1940, création du Groupement de Travailleurs Etrangers qui oblige les étrangers de travailler comme main-d’œuvre.

(2)Brigade Durruti :
porte le nom de Buenaventura Durruti militant de la Fédération Anarchiste Ibérique (FAI), et syndiqué à la Confédération Nationale du Travail (CNT). En novembre 1936 à la tête de sa colonne, il meurt proche de Madrid, enterré finalement à Barcelone le 23 novembre 1936.

(3)Denis Peschanski :
né à Paris en 1954, historien, écrivain, militant au Parti Communiste jusqu’à 1981. En 2002 il écrit La France des camps : l’internement et des Etrangers dans la Résistance…

(4)Arthur Koestler :
né à Budapest en 1905, journaliste, romancier… naturalisé anglais. Interné par les autorités françaises au Stade Roland Garros, transféré au camp du Vernet. S’engage dans la Légion Etrangère et passe en Angleterre. Dès 1937 il écrit « Un testament espagnol » et en 1941 « La lie de la terre ».

(5)Bruno Frei :
né à Bratislava, le 11 juin 1897, mort le 21 mai 1988 à Klosterneuburg (Autriche). Journaliste au Der Aben journal de gauche (Vienne 1917), 1920 il obtient le Doctorat de philosophie. Il passe par Berlin, Prague toujours dans le journalisme. Il émigre en France et finit au camp du Vernet jusqu’en 1941, il émigre au Mexique et retourne à Vienne en 1947. C’est un écrivain de talent et prolifique.

Sources principales d’information :
Amicale des Anciens Internés Politiques et Résistants du camp de concentration du Vernet d’Ariège (site internet lien direct) qui a œuvré et œuvre pour garder la mémoire vive de cette période funeste
MUSÉE et CAMP DE CONCENTRATION DU VERNET D’ARIÈGE
Le CENTRE D’HISTOIRE DE LA RÉSISTANCE ET DE LA DÉPORTATION
Thèse de l’exode à l’exil Université Bordeaux 3 Michel de Montaigne

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